Pour les acteurs de la formation d’adulte, l’évaluation constitue un enjeu central, aujourd’hui complexifié par l’essor de l’intelligence artificielle (IA). Avec l’arrivée de Moodle 4.5, qui permet d’utiliser l’IA pour générer automatiquement des tests, il devient encore plus impératif de repenser les pratiques évaluatives afin d’appréhender non seulement la maîtrise de connaissances, mais aussi des compétences transversales et profondes. Comment les formateurs peuvent-ils évaluer efficacement des apprenants qui disposent par ailleurs d’outils d’IA facilitant l’accès à des réponses ? Plus encore, comment évaluer au-delà des simples savoirs pour mesurer des apprentissages significatifs ? Ces questions posent à la fois des défis théoriques et pratiques, et invitent à reconsidérer le rôle central des apprenants et des formateurs dans le processus évaluatif.
La première étape consiste à définir précisément l’objet de l’évaluation : s’agit-il d’évaluer des savoirs, le niveau de connaissance atteint, la progression, l’engagement ou encore des compétences spécifiques ? Cette multitude d’objectifs évaluatifs complexifie l’exercice et nécessite l’adoption d’une approche nuancée et adaptée aux besoins de chaque apprenant. Il est important que l’évaluation soit alignée sur les objectifs d’apprentissage visés, et que les critères utilisés soient transparents et compréhensibles pour tous les participants au processus. Cela contribue non seulement à une meilleure compréhension des attentes, mais aussi à l’engagement actif des apprenants dans leur propre apprentissage.
Les limites des outils évaluatifs traditionnels

Les modalités d’évaluation traditionnelles, à commencer par les quiz et les sempiternelles questions à choix multiples, conservent toute leur légitimité dans le parcours d’apprentissage. Outils de positionnement en amont, d’accompagnement formatif en cours de route, ou encore de mesure ponctuelle des acquis, elles balisent avec méthode les différentes étapes de la formation. Et, il faut bien l’admettre, rien ne vaut un bon QCM à l’ancienne, truffé de pièges bien sentis, pour éprouver à la fois la mémoire et l’instinct de survie cognitif des apprenants.
Ces formats ont pour eux une lisibilité rassurante. Pour les apprenants, ils offrent une photographie instantanée de leur progression et mettent en lumière les zones d’ombre. Pour les formateurs, ils fournissent des données exploitables pour ajuster leur approche pédagogique. Bref, une mécanique bien huilée pour générer du quantifiable. Mais au-delà du chiffre, ces outils peinent à saisir ce qui se joue dans les replis plus subtils de l’apprentissage : la capacité à mobiliser, à analyser, à créer du sens.
Or, voilà que l’intelligence artificielle vient bousculer ce bel ordonnancement. Capable de générer à la volée des batteries de questions — et, ironie du sort, d’en produire aussi vite les réponses —, elle remet en question la solidité de certaines pratiques d’évaluation, notamment à distance. Car si l’on peut interroger ChatGPT au moindre doute, que vaut encore un test fondé sur la seule mémorisation ?
Il devient donc urgent de repenser l’évaluation non plus comme une sanction ou un passage obligé, mais comme un levier pour sonder des compétences plus fines : la pensée critique, la capacité à relier, à inventer, à nuancer. Autant de dimensions qui échappent encore — et pour longtemps — aux grilles rigides d’un QCM.
L’évaluation des compétences complexes
Aujourd’hui, le véritable défi pour les formateurs ne réside plus dans la simple transmission de savoirs, mais dans la manière d’évaluer ce qui échappe aux grilles classiques : créativité, pensée critique, résolution de problèmes complexes, collaboration entre pairs… Autant de compétences qui s’épanouissent rarement entre les cases d’un QCM ou les notes d’un devoir standardisé. Dans le cadre de parcours longs, où l’apprentissage se construit dans la durée, les outils traditionnels peinent à saisir la richesse et la singularité des cheminements individuels. Car mesurer la seule compréhension factuelle ne suffit plus : ce n’est pas parce qu’un apprenant restitue un savoir qu’il saura l’appliquer face à l’imprévu ou le transposer dans un autre contexte.

Il devient dès lors indispensable de réinterroger nos pratiques évaluatives. Repenser l’évaluation, ce n’est pas simplement changer les outils, c’est surtout replacer l’apprenant — et le formateur — au cœur d’un processus dynamique, où l’on s’intéresse moins à cocher des cases qu’à comprendre ce qui se joue réellement dans l’engagement, l’appropriation, et la transformation du savoir.
Cela suppose de s’appuyer sur des approches plus qualitatives : l’observation attentive, le retour régulier, des activités porteuses de sens, qui incitent à l’analyse de ses propres pratiques. L’évaluation ne devient alors plus un point final, mais un fil conducteur, à la fois miroir et moteur de l’apprentissage.
Quiz et Tests adaptatifs
Moodle intègre un module de quiz particulièrement riche, qui autorise la création de questions diversifiées — QCM, réponses ouvertes, appariements, entre autres — et leur intégration dans des tests adaptatifs. Ces derniers ne se contentent pas d’évaluer de manière linéaire, mais s’ajustent au fil des réponses de l’apprenant, ouvrant la voie à une évaluation plus fine des compétences analytiques et de la pensée critique.
Le principe est simple, mais puissant : une mauvaise réponse peut déclencher une série de questions ciblées visant à identifier précisément les zones de fragilité, tandis qu’une bonne réponse ouvre l’accès à des contenus plus exigeants, sollicitant des niveaux supérieurs de réflexion. On ne cherche plus seulement à mesurer, mais à comprendre, à accompagner, à pousser plus loin.
Ce mécanisme adaptatif introduit une dimension nouvelle dans l’évaluation : celle de la réactivité pédagogique. Le quiz ne se contente plus d’enregistrer une performance, il devient un espace de dialogue entre l’apprenant et la machine, capable de proposer en temps réel un parcours ajusté, pertinent, et stimulant.
Une telle approche, qui conjugue automatisation et personnalisation, ouvre des perspectives intéressantes pour construire des parcours d’apprentissage plus intelligents — et plus justes.
Ateliers
Le module Atelier de Moodle introduit une approche résolument participative de l’évaluation : les apprenants y sont invités à évaluer les travaux de leurs pairs, selon une grille de critères définie par l’enseignant. Au-delà de la simple correction croisée, il s’agit d’un véritable levier pédagogique, qui stimule la collaboration et nourrit le développement de compétences d’analyse et de jugement critique.
L’évaluation par les pairs ne se limite pas à un exercice d’appréciation : elle oblige les apprenants à adopter un regard structuré sur le travail des autres, à argumenter, à comparer, à nuancer. Et ce faisant, elle enrichit leur propre démarche. Ce double mouvement — produire, puis évaluer — rend plus visibles les attendus, affine la compréhension des critères d’évaluation, et favorise une réappropriation des standards de qualité.
Ce processus invite à un apprentissage en miroir. Les étudiants, confrontés à la diversité des productions, prennent conscience de leurs propres choix, de leurs forces, de leurs marges de progression. L’évaluation devient ainsi un acte formatif à part entière, aussi formateur pour celui qui reçoit un retour que pour celui qui le formule.
Tâches et Feedback personnalisé
Les activités de devoirs (Assignments) permettent de soumettre des travaux sous différentes formes (texte, fichier, multimédia) et d’intégrer des feedbacks détaillés avec des critères spécifiques. Les enseignants peuvent utiliser des grilles d’évaluation ou des guides de notation pour structurer l’évaluation. Ce type de feedback individualisé est essentiel pour soutenir l’apprentissage à un niveau plus personnel, en identifiant les forces et les domaines d’amélioration spécifiques à chaque apprenant. En fournissant des commentaires détaillés, les enseignants permettent aux apprenants de mieux comprendre les attentes et d’orienter leurs efforts de manière plus efficace.
Badges et Compétences
Moodle inclut un système de badges et de gestion des compétences qui permet de lier des badges à des compétences spécifiques. Cela peut motiver les apprenants en les récompensant pour des compétences acquises, notamment celles qui requièrent des approches créatives ou collaboratives. Ces badges fonctionnent comme des indicateurs visibles des compétences acquises, fournissant aux apprenants des signes tangibles de leur progression et leur permettant de suivre leurs réalisations au fil du temps. De plus, l’acquisition de badges peut contribuer à renforcer la confiance en soi des apprenants, en leur offrant des encouragements réguliers et des récompenses pour leurs efforts.
Activités H5P
Intégrées à Moodle, les activités H5P permettent de créer du contenu interactif, comme des vidéos enrichies, des présentations interactives, ou des scénarios de branchement. Ces contenus interactifs sont idéaux pour l’évaluation formative et l’engagement actif. Par exemple, un quiz intégré dans une vidéo permet aux apprenants de répondre à des questions en cours de visionnage, s’assurant ainsi qu’ils comprennent le contenu au fur et à mesure. Les activités H5P encouragent également une approche active de l’apprentissage, où les apprenants ne sont pas de simples récepteurs passifs, mais deviennent participants actifs dans leur propre processus d’apprentissage.
Analytics et suivi d’engagement
Moodle possède un système d’analytique d’apprentissage qui permet de suivre les activités des apprenants, de repérer les difficultés et de personnaliser les parcours d’apprentissage. Ces données aident à identifier les compétences sur lesquelles l’apprenant doit se concentrer davantage. Par exemple, les enseignants peuvent identifier les apprenants qui rencontrent des difficultés spécifiques et intervenir rapidement pour proposer un soutien ciblé. L’utilisation des données analytiques peut transformer la manière dont les enseignants prennent des décisions pédagogiques, en rendant le suivi des progrès plus précis et en permettant de mieux personnaliser les expériences d’apprentissage.
Repenser l’apprentissage par cœur face à l’IA
Une autre approche face à l’IA consiste à remettre en question la nécessité de l’‘apprentissage par cœur’ dans la formation d’adultes, étant donné qu’il est facile de trouver une information en ligne, même sans l’aide de l’IA. Après tout, qui a besoin de se souvenir de la date exacte de la bataille de Waterloo quand on a Google ? L’accent devrait être mis sur la capacité à retrouver une information dont on est conscient de l’existence, plutôt que de la mémoriser inutilement. En effet, cette approche valorise la compétence à naviguer dans un monde informationnel surchargé, à trier les sources fiables, et à interpréter de manière critique les informations disponibles. Une solution concrète, comme le permet Moodle, est de favoriser des tests ‘à livre ouvert’ qui mettent l’accent sur la recherche et l’analyse des informations. Une évaluation adaptée devrait donc favoriser l’utilisation et l’application de ces compétences de recherche et d’analyse, plutôt que la simple rétention de faits.
En outre, cette approche favorise un apprentissage plus durable. Plutôt que de se concentrer sur la mémorisation d’informations spécifiques, les apprenants sont encouragés à développer des compétences transférables, telles que la capacité à rechercher des informations, à évaluer la fiabilité des sources et à les synthétiser pour répondre à des questions complexes. Cela permet de préparer les apprenants à des contextes professionnels où la capacité à trouver des réponses est souvent plus importante que de connaître les réponses par cœur.
Le e-portfolio : un outil adapté à l’évaluation contemporaine
Le e-portfolio s’impose comme un outil pertinent pour évaluer des apprentissages profonds et variés. Issu du concept de portfolio utilisé dans les milieux artistiques, le e-portfolio permet à l’apprenant de compiler des travaux, des projets, des présentations, mais aussi des notes et des ressources. Un peu comme un scrapbook, mais en moins kitsch et plus académique. Il permet ainsi une personnalisation importante de l’apprentissage, chaque apprenant élaborant un espace qui lui est propre et qui reflète sa façon d’apprendre. Ce dispositif favorise la réflexivité, en incitant l’apprenant à analyser de manière critique son parcours, à identifier ses forces et ses axes de progression, et à ancrer durablement ses apprentissages.
De plus, le blog de Moodle peut être utilisé comme un e-portfolio pour documenter le parcours, les réalisations et les réflexions des apprenants tout au long de leur apprentissage. Les billets de blog permettent de compiler des travaux, d’encourager la réflexivité et de suivre la progression. Chaque apprenant dispose d’un espace personnalisé qu’il peut organiser à sa guise, reflétant son style d’apprentissage unique. Les formateurs peuvent suivre cette progression qualitative à travers les billets et offrir des retours continus. Cela renforce la réflexivité et soutient la collaboration, notamment lorsque les billets sont partagés ou commentés par des pairs.
Pour les formateurs, le e-portfolio constitue un moyen d’obtenir une vue d’ensemble évolutive des compétences acquises, du cheminement de chaque apprenant et des réflexions menées au fil du temps. Il permet de suivre la progression individuelle de façon plus qualitative, de favoriser des activités réflexives liées aux situations professionnelles de l’apprenant, et d’encourager le travail collaboratif via des projets de groupe. Et bien sûr, cela signifie également jouer au détective en examinant les petits indices que les apprenants laissent derrière eux. Toutefois, le succès de cet outil repose sur l’engagement actif des apprenants comme des formateurs, nécessitant un investissement en temps et une adaptation des méthodes pédagogiques.
Favoriser la pensée critique : le rôle des outils collaboratifs
L’un des objectifs de l’éducation est de développer la pensée critique des apprenants. Moodle propose plusieurs activités natives qui s’avèrent particulièrement efficaces pour favoriser la pensée critique et encourager les échanges collaboratifs, de manière comparable à des plateformes comme Debate ou Kialo.
- Forums de discussion : les forums de Moodle permettent aux apprenants de débattre autour de sujets proposés par le formateur. Les participants peuvent poser des questions, partager des arguments et commenter les contributions des autres. Pour structurer un débat, le formateur peut instaurer des règles (par exemple, chaque participant doit répondre à deux autres avant de poster un nouvel argument) et guider la discussion pour maintenir le focus sur le sujet central. Les forums incluent également des options pour évaluer les contributions via des évaluations par les pairs ou par le formateur, soutenant l’aspect évaluatif et formatif de l’activité.
- Activité Wiki : le module Wiki est utile pour la co-construction de connaissances. Les apprenants peuvent collaborer à la rédaction d’un document collectif où chaque participant contribue ses idées et ses arguments autour d’une question ou d’un thème. Cela simule un débat où les arguments et contre-arguments sont structurés de manière cohérente et évolutive. Le wiki permet également de voir l’historique des modifications, ce qui est utile pour évaluer les contributions individuelles et observer comment les idées des apprenants se développent en réponse aux contributions des autres.
- Atelier (Workshop) : l’activité Atelier est un excellent outil pour organiser des débats structurés avec des critères d’évaluation précis. Dans cet espace, les apprenants soumettent leurs arguments sous forme de texte ou de production, qui sont ensuite évalués par les pairs selon des critères définis par le formateur. Ce processus encourage les participants à réfléchir de manière critique aux arguments des autres et à justifier leurs évaluations. Le formateur peut également offrir des feedbacks structurés pour promouvoir une critique constructive.
- Glossaire collaboratif : le glossaire peut être transformé en une activité de débat où chaque terme représente une thématique ou un argument central. Les apprenants peuvent ajouter des définitions ou des explications, commenter celles des autres, et proposer des ajouts ou des contre-arguments. Le formateur veille à la qualité des contributions et recentre la discussion si nécessaire. En construisant un glossaire collaboratif, les apprenants se familiarisent avec des concepts clés, tout en engageant un dialogue critique avec leurs pairs.
- Chat ou BigBlueButton pour les débats en direct : le chat et BigBlueButton (s’il est intégré à Moodle) permettent des discussions en direct, ce qui est particulièrement utile pour des débats synchrones. Le formateur peut faciliter la discussion, poser des questions stimulantes et inviter les apprenants à argumenter en temps réel. Les enregistrements de BigBlueButton peuvent également être analysés ultérieurement, permettant une réflexion continue sur les débats passés. Cela offre aux apprenants une chance d’apprendre de leurs échanges et de réfléchir à la manière dont ils peuvent améliorer leur argumentation.
- Feedback ou Questionnaire pour stimuler la réflexion : les modules Feedback et Questionnaire peuvent être utilisés pour recueillir des opinions initiales ou des réflexions pré-débat, que les apprenants peuvent utiliser comme base de leur argumentation. Par exemple, le formateur peut demander aux étudiants de soumettre leurs arguments dans un questionnaire anonyme, puis les afficher comme base de discussion. Cela permet aussi aux apprenants de réévaluer leurs propres positions après le débat. Cette pratique est utile pour amener les étudiants à comprendre comment leurs opinions peuvent évoluer au fur et à mesure qu’ils acquièrent de nouvelles informations et perspectives.
En combinant ces outils, Moodle permet de créer un environnement riche en interactions et en réflexions critiques, comparable aux plateformes comme Debate ou Kialo, tout en offrant une flexibilité sur le suivi et l’évaluation des contributions des apprenants. Le formateur reste au centre, facilitant les échanges et guidant la pensée critique. Ces outils apportent des possibilités variées qui permettent aux apprenants de développer leurs compétences analytiques, leur esprit critique, et leur capacité à collaborer de manière efficace.
Conclusion
L’évaluation des apprenants à l’ère de l’intelligence artificielle requiert une redéfinition des pratiques et des outils utilisés. Si les outils traditionnels conservent une certaine pertinence, ils doivent être complétés par des approches plus qualitatives et participatives, telles que le e-portfolio et les débats argumentés, pour répondre aux enjeux de l’évaluation des compétences complexes. Après tout, un e-portfolio, c’est un peu comme un réseau social, mais sans les selfies embarrassants de vacances – uniquement du contenu sérieux, qui fait briller les méninges ! Il est donc essentiel d’accompagner les formateurs dans cette évolution, en leur offrant des ressources et des outils adaptés à un environnement en constante mutation, marqué par une utilisation croissante de l’IA par les apprenants.
Les formateurs doivent être préparés à naviguer dans un paysage éducatif où l’IA est non seulement un outil, mais aussi un partenaire dans l’apprentissage. Ils doivent être en mesure de guider les apprenants dans l’utilisation critique et éthique de l’IA, tout en s’appuyant sur des méthodes d’évaluation qui reconnaissent et valorisent les compétences analytiques, créatives, et collaboratives. En fin de compte, il s’agit de faire de l’évaluation non pas un simple test de connaissances, mais un véritable levier de développement personnel et professionnel, adapté aux défis du XXIe siècle.
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